Le doute est constitutif de la foi Jean Rigal

Nul n'aura jamais une preuve certaine de l'existence ou de la non-existence de Dieu. Croire n'est pas savoir.

Nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision » (2 Co 5, 3). Croyants et non-croyants auront toujours d'excellents arguments pour expliquer que Dieu existe ou n'existe pas : aucun ne prouvera jamais quoi que ce soit... La foi pose autant de questions qu'elle apporte de réponses. St Augustin n'hésitait pas à dire : « Chercher Dieu pour le trouver et le trouver pour le chercher encore ». « Abraham partit sans savoir où il allait ». Résonne en moi la parole de Jésus à Thomas : « Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru » (Jn 20, 29).

Si je suis absolument certain de bien parler de Dieu, je fabrique mon image de Dieu, j'en fais mon idole. Il en résulte que l'ordre de la foi et celui de la raison sont de nature différente, même si raison et foi doivent entrer en relation et se questionner mutuellement. L'intelligence de la foi ne peut se passer de la raison sous peine de devenir infantile, uniquement subjective, sujette à toutes les fantaisies, à toutes les dérives, jusqu'au fanatisme religieux. Réciproquement, la foi questionne la raison sur le sens dernier de la vie humaine et de l'histoire. « La foi et la raison s'aident mutuellement », déclarait déjà le concile Vatican I (1869-1870).

Puisqu'elle ne repose ni sur une évidence sensible (Dieu est invisible), ni sur une connaissance objective, la foi est généralement accompagnée du doute : les exceptions confirment la règle. J'aurais tendance à penser que la foi sans le doute conduit au fanatisme. Le pape François a la simplicité de dire : « Si quelqu'un dit qu'il a rencontré Dieu avec une totale certitude et qu'il n'y a aucune marge d'incertitude, c'est la preuve que Dieu n'est pas en lui ». Il m'arrive de penser « si tout cela n'était qu'un rêve ! », une belle construction des hommes et cependant ma foi résiste, même si le doute devient plus agressif en prenant de l'âge. Je reconnais loyalement que cette épreuve est parfois difficile à supporter et je n'en parle qu'à mes meilleurs amis. En réalité, je crois que le doute s'inscrit à l'intérieur de la foi pour empêcher la foi d'être une évidence et une assurance tranquille. La foi ne se nourrit pas d'évidences mais de doutes affrontés.

Ce qui apparaît comme paradoxal, c'est que le doute est proportionné à l'intensité de la foi elle-même. Un croyant qui adhère faiblement à l'existence de Dieu sera plus rarement traversé de doutes : ni la foi, ni les doutes ne bouleversent sa vie. À l'inverse, un croyant qui a vécu des moments de foi intenses, lumineux, voire qui a misé toute sa vie sur la foi comme Mère Térésa, finira par ressentir l'absence de Dieu comme terriblement douloureuse. Le doute deviendra une épreuve existentielle. C'est ce que vivent les grands mystiques qui ne craignent pas de parler de « la nuit de la foi. »Les lumières intérieures s'éteignent, laissant le croyant dans la foi la plus nue parce qu'elle n'a plus rien sur quoi s'appuyer. Pour Jean de la Croix, Dieu donne l'impression de se retirer, au moment où il éprouve le coeur du fidèle pour le conduire plus loin sur le chemin de cette rencontre.

La foi chrétienne est particulièrement interrogée par le mystère de la mort et de l'au-delà. Le credo de Nicée-Constantinople proclame « j'attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir ». Combien de chrétiens prononcent ces paroles du bout des lèvres, sans trop y croire ! La foi en la résurrection des morts repose essen­tiellement sur le témoignage subit, ferme, et continu des apôtres et de différents disciples. Il s'est passé quelque chose de décisif : on peut en discuter la nature, il est difficile d'en nier les effets. Il y a plus : la résurrection de Jésus par le Père se situe dans le droit fil de son existence terrestre : de sa vie et de ses actes. Elle en constitue l'accomplissement. En attendant ce passage mystérieux sur l'autre rive, la foi devient plutôt espérance, cela dès aujourd'hui. La vie éternelle est déjà commencée. L'apôtre Jean l'affirme dans une formule vigoureuse : « Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères » (1 Jn 3, 14).

Le doute ainsi perçu n'est donc pas une négation, mais plutôt une interrogation. Chaque chrétien doit accueillir sa part d'incertitude et de questionnement. Certes, le doute peut se traduire par une indécision permanente et déboucher sur l'immobilisme ou l'attentisme stérile : ce doute-là n'est pas productif. Mais il existe une autre forme de doute : celle qui est fondamentalement « recherche », celle qui ouvre un chemin d'exploration, d'approfondissement et de liberté. Tel est le risque de la foi !

Si par impossible, à mon lit de mort, il m'était manifesté avec une évidence parfaite que je me suis trompé, qu'il n'y a pas de Dieu – ce que personne ne peut prouver –, je ne regretterais pas d'avoir cru en Lui. Je penserais que je me suis honoré en croyant que l'univers n'est pas idiot, qu'il faut lui donner un sens et que la Vie aura le dernier mot.